Déclaration de Paix 2022 du Maire de Nagasaki Tomihisa Taue
La première fois que la Conférence mondiale contre les bombes A et H, visant à l’abolition des armes nucléaires, s’est tenue ici à Nagasaki, c’était en 1956, onze ans après le largage sur la ville de la bombe atomique qui a causé les morts et blessures de 150 000 personnes.
Au moment où Chieko WATANABE, l’une des hibakusha, est entrée dans la salle, il y eu une pluie de flashs d’appareils photo. Car lors de sa venue, Mme Watanabe était portée grâce aux bras de sa mère. Elle a été exposée au bombardement atomique dans une usine où elle travaillait alors qu’elle était une étudiante mobilisée de 16 ans et est devenue paralysée à partir de la taille après avoir été écrasée sous des poutres métalliques qui s’étaient effondrées. À son arrivée, on a entendu des voix provenant des personnes rassemblées qui disaient “Arrêtez de la photographier !”. “Elle n’est pas une sorte de spectacle !” et sa venue est tombée dans un état d’agitation.
Arrivée à l’estrade, Mme Watanabe a déclaré d’une voix claire : “Peuple du monde, s’il vous plaît, prenez des photos. Et ensuite assurez-vous que plus aucune personne comme moi ne soit créée”.
Dirigeants des États nucléaires, entendez-vous le cri de son âme au travers de ces mots ? Un cri exigeant de tout son cœur et de toute son âme que “Quoi qu’il arrive, les armes nucléaires ne doivent pas être utilisées !”
En janvier de cette année, les dirigeants des États-Unis, de la Russie, du Royaume-Uni, de la France et de la Chine ont publié une déclaration commune affirmant qu’“une guerre nucléaire ne peut être gagnée et ne doit jamais être menée”. Cependant, le mois suivant, la Russie a envahi l’Ukraine. Des menaces d’utilisation d’armes nucléaires ont été proférées, faisant trembler le monde entier. Cela a montré au monde que l’utilisation d’armes nucléaires n’est pas une “crainte sans fondement” mais une “crise tangible et actuelle”. Elle nous a fait prendre conscience que, tant qu’il y aura des armes nucléaires dans le monde, l’humanité sera constamment confrontée au risque que des armes nucléaires soient utilisées à la suite de jugements humains erronés, de dysfonctionnements mécaniques ou d’actes de terrorisme.
En essayant de protéger les nations dotées d’armes nucléaires, le nombre de nations qui en dépendent augmente et le monde devient un endroit de plus en plus dangereux. La croyance que malgré la possession des armes nucléaires, elles ne seront probablement pas utilisées est un fantasme, rien de plus qu’un simple espoir. “Elles existent, donc elles peuvent être utilisées”. Nous devons reconnaître que se débarrasser des armes nucléaires est le seul moyen réaliste de protéger la Terre et l’avenir de l’humanité aujourd’hui.
Deux réunions importantes pour l’abolition des armes nucléaires se poursuivent cette année.
En juin, lors de la première réunion des États parties au Traité d’Interdiction des Armes Nucléaires (TIAN) qui s’est tenue à Vienne, un débat franc et sobre a eu lieu, auquel ont participé des pays observateurs opposés au traité, et un projet de déclaration a été adopté lors de la réunion, exprimant la ferme volonté de parvenir à un monde exempt d’armes nucléaires, ainsi qu’un plan d’action spécifique. En outre, il a été réitéré clairement que le TIAN et le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) se complètent mutuellement.
Actuellement, la Conférence d’examen des parties au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires se déroule au siège des Nations unies à New York. Au cours des quelque 50 dernières années, le TNP, en tant que traité empêchant l’augmentation du nombre d’États nucléaires et promouvant le désarmement nucléaire, a suscité de grandes attentes et joué un rôle important. Cependant, le traité et les décisions prises lors des réunions n’ont pas été mis en pratique, et la confiance en ce traité est devenue ténue.
Les États nucléaires ont une responsabilité particulière en raison du TNP. Il est nécessaire que la nature polarisante du conflit ukrainien soit surmontée, que les promesses faites dans le cadre du TNP soient réaffirmées et qu’un processus concret de réduction des armes nucléaires soit présenté.
Par la présente, j’en appelle au gouvernement du Japon et aux membres de la Diète nationale.
En tant que nation dotée d’une constitution qui renonce à la guerre, le Japon doit faire preuve de leadership en la poursuite de la diplomatie de paix au sein de la société internationale, en particulier en temps de paix.
En tant que nation possédant les trois principes de non-nucléarité, au lieu de s’orienter vers le “partage nucléaire” ou d’autres formes de dépendance aux armes nucléaires, veuillez ouvrir la voie à des débats qui permettront de progresser dans la direction de la non-dépendance nucléaire, comme promouvoir des discussions sur le concept de zone exempte d’armes nucléaires en Asie du Nord-Est. En outre, en tant que seule nation à avoir subi des bombardements atomiques pendant la guerre, je demande au gouvernement du Japon de signer et de ratifier la TIAN, et de devenir une force motrice dans la réalisation d’un monde exempt d’armes nucléaires.
Peuple du monde, chaque jour nous voyons et entendons la réalité de la guerre à travers la télévision et les réseaux sociaux. La vie quotidienne de nombreuses personnes est dévorée par les feux de la guerre. L’utilisation de bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki est due à la guerre. La guerre est toujours source de souffrance pour nous, les gens ordinaires qui vivent dans la société civile. Et c’est précisément la raison pour laquelle il est si important que nous élevions nos voix et disions “la guerre n’est pas bonne”.
Notre société civile peut devenir soit une clé de voûte pour la paix, soit un foyer de guerre. Au lieu d’une “culture de la guerre” qui répand la méfiance, attise la terreur et cherche à résoudre les problèmes par la violence, faisons des efforts inlassables pour ancrer dans la société civile une “culture de la paix” qui répand la confiance, respecte les autres et cherche des solutions par le dialogue. Que chacun d’entre nous qui réclame la paix adopte le slogan des messagers de la paix d’Hiroshima Nagasaki : “Notre force est peut-être modeste, mais nous ne sommes pas impuissants”.
Nagasaki continuera, en lien avec le pouvoir de la jeunesse, à s’impliquer dans des activités visant à favoriser une “culture de la paix”.
L’âge moyen des hibakusha a maintenant atteint plus de 84 ans. Je demande au gouvernement du Japon de fournir, de toute urgence, un meilleur soutien aux hibakusha et des mesures de secours pour ceux qui ont vécu les bombardements atomiques mais n’ont pas encore été officiellement reconnus comme des survivants des bombardements.
J’exprime mes sincères condoléances à tous celles et ceux qui ont perdu la vie dans les bombardements atomiques.
Résolu à faire en sorte que “Nagasaki soit le dernier endroit à subir un bombardement atomique”, je déclare par la présente que Nagasaki continuera à faire tout son possible pour réaliser l’abolition des armes nucléaires et une paix mondiale durable, en travaillant ensemble avec Hiroshima, Okinawa et Fukushima, victime de la contamination par les radiations, et en élargissant notre alliance avec les personnes du monde entier qui tentent d’aider à cultiver la paix.
Tomihisa Taue, Maire de Nagasaki